Le Bien-Être Équin : Entre Illusion et Réalité
- 21 avr.
- 8 min de lecture

Je ne sais pas vous, mais depuis quelques mois, en tant que masseur/physio, je me pose de plus en plus souvent cette question : qu’est-ce que je fais là ?
Pas “qu’est-ce que je fais là sur Terre”, non. Mais bien : qu’est-ce que je fais là, professionnellement parlant ?
Je ne sais pas si vous aussi vous ressentez la même chose, mais j’ai de plus en plus l’impression que le monde équestre est un monde qui se fout de tout, et que seul l’aura compte aujourd’hui. Plus j’avance, moins j’ai envie de partager.
Cette impression n’est pas d’aujourd’hui. Déjà à l’époque où j’étais moniteur, je me suis rendu compte, au cours de nombreuses frustrations et mauvaises expériences, que « seul le coach détient la vérité, et peu importe ce qu’il dit, car il évolue en amateur élite, Pro 2… seul lui a l’aura et la vérité absolue. »
Avec le temps, j’ai appris à vivre avec… et surtout à m’éloigner de ce schéma.
Oui, il m’est déjà arrivé, à plusieurs reprises, de ne pas poursuivre avec certains clients, tant les remettre en question relevait de l’impossible, et où le seul critère valable à leurs yeux était le niveau d’épreuve franchi. D’ailleurs, c’est souvent l’un des arguments avancés concernant les compétences d’un professionnel dans le milieu : “Je l’ai choisi parce qu’il a tourné sur 135”, mais bien souvent on oublie que la réalisation de ces épreuves est effectuée en grande partie grâce aux compétences du cheval, et non du cavalier. « Combien de bons chevaux ont été ratés parce qu’ils ont été simplement utilisés ? »
Je me sens de plus en plus désensibilisé, détaché. À tel point que, récemment, je me suis surpris, en pleine consultation, à évoquer les problématiques liées à mon métier. Et en plein milieu de cette discussion, je me suis demandé :
Est-ce que j’ai encore ma légitimité dans ce milieu ?
Est-ce que mes dix années de formations, d’observations et de perfectionnements autour du cheval ont réellement servi à quelque chose ?
Parce que oui, je suis titulaire d’un BPJEPS « perfectionnement technique », entre autres. J’ai été nutritionniste équin. Aujourd’hui, je suis masseur/physio depuis 2019, et cette activité est exercée à temps plein depuis fin 2021. Et on peut dire qu’en dix ans, mon approche a énormément évolué.
Aujourd’hui, la majeure partie de mon activité est axée sur les cas dits « désespérés », les chevaux « tordus » ou ceux suivis par plusieurs professionnels… mais chez qui il reste toujours un « truc ». Et je sais que beaucoup d’entre vous se reconnaîtront. Parce que ces exemples, je les entends tous les jours, lors de notre première rencontre, et c’est aussi ce qui me donne envie, chaque matin, d’aller à votre rencontre.
Parce que la remise en question fait partie intégrante de mon quotidien, parce que je donne la parole à votre cheval, et parce que, comme dans mes cours de biomécanique, je remets le cheval au centre du débat.
Il y a quelque temps, je vous faisais part de mon ras-le-bol de publier.
Plus je publie, plus les audiences s’effondrent.
Et cela, de façon totalement incompréhensible.
Mais avec un peu de recul, j’ai fini par comprendre.
Aujourd’hui, ce ne sont plus les compétences d’un professionnel qui comptent, mais la taille de sa communauté. Ce ne sont plus les connaissances ou la justesse du propos qui priment, mais le nombre de reposts, de likes, de vues.
Je vais exposer un exemple concret, car c’est ce dernier qui a fini de me motiver concernant l’écriture et la légitimité de cette prose.
Ce matin, je me lève tôt pour préparer ma tournée en Alsace, et là, Facebook me propose des publications de certaines consoeurs. Assez drôle, d’ailleurs, puisque je ne suis aucun compte de masseur ou masseuse équin.
“Oui, j’ai toujours été un peu à contre-courant de ces communautés de pros où chacun observe l’autre de loin, où l’on parle d’harmonisation des tarifs comme si l’homogénéité des prix allait garantir la compétence… très peu pour moi. J’ai toujours préféré faire les choses à ma manière, en restant aligné avec ce que je propose. Parce que ce qui compte pour moi, c’est de me remettre en question en permanence, et de toujours faire du cheval ma priorité.”
Et justement, ce matin-là, alors que je fais mon tour habituel sur les réseaux, je tombe — au hasard des suggestions — sur le compte d’une praticienne. Dès la première ligne, je reconnais un style d’écriture… disons… “assisté”. Probablement soufflé par ChatGPT. La formulation, la syntaxe… trop fluide, trop parfaite, trop récurrente. Je lis beaucoup, même si je ne suis personne, et c’est ce qui m’a montré que l’IA lui a expliqué certains bienfaits du « massage » qu’elle n’avait probablement pas en sa connaissance.
Puis je tombe sur un réel.
Et certains gestes, certaines postures me font franchement tiquer. Des mouvements douteux, une technique discutable. Mais bon, je n’étais pas sur place, alors je ne juge pas.
Jusqu’à ce que je vois que ce réel est publié en collaboration avec une cavalière, une “instavoleuse”, comme j’aime bien les appeler. Une cavalière “pro”, influenceuse, qui partage son retour d’expérience : complètement subjuguée par le fait que sa jument atteinte de headshaking ne s’était jamais autant relâchée.
Je ne vais pas revenir sur toutes les absurdités qu’elle a pu dire, mais je vais en relever une qui, à elle seule, souligne toutes les problématiques du monde actuel, ou plus particulièrement du milieu du “bien-être animal”.
L’instagrameuse (19,5k followers, aujourd’hui inactive — sûrement une overdose de contenu) nous explique, avec aplomb, que grâce à « un massage profond des fascias et des muscles superficiels, la praticienne a réussi à relancer le système lymphatique et le système nerveux. »
Alors peut-être que ça ne vous parle pas — et c’est normal — mais les fascias et les muscles superficiels, c’est la même chose.
On évoque, par exemple, le fascia thoraco-lombaire lorsqu’on parle des structures musculaires superficielles, le fascia étant une composante tissulaire de cette couche.
Pour simplifier, les muscles dits superficiels sont ceux situés immédiatement sous le derme, donc accessibles et réceptifs au massage manuel direct. Ce sont eux qui réagissent le plus efficacement à une stimulation mécanique.
Imaginer qu’un massage, même « profond », puisse agir directement sur les muscles profonds ou sur les systèmes neurovégétatif ou lymphatique est une erreur courante, désormais bien ancrée dans les mœurs. Cependant, ces structures nécessitent d’autres types de sollicitations, souvent plus spécifiques et ciblées.
Pour autant, une action sur les couches superficielles peut induire un relâchement réflexe global, favorisant l’abaissement du tonus général, ce qui peut faciliter l’accès aux plans plus profonds.
Autrement dit, seule une réponse myofasciale globale, intégrant les chaînes profondes, ainsi qu’un travail d’étirement et postural, permettra une action durable et réellement efficace sur les structures internes.
En d’autres termes, la sensation de bien-être éprouvée par la cavalière était illusoire, éphémère, tout simplement parce que le problème de fond n’a été qu’effleuré par la praticienne.
Comme je l’ai souvent expliqué, un massage va certes favoriser l’oxygénation, le drainage et induire une détente immédiate, mais dans le cas de cette jument — et même si je n’étais pas présent — je peux dire avec certitude : non, il n’y a eu aucune action sur le système nerveux.
Mais ledit témoignage, rempli d’erreurs techniques et soumis à l’appréciation souvent erronée du cavalier, a été visionné 24 000 fois et recueilli 937 likes juste sur la plateforme Instagram.

Pourquoi ?
Parce que je connais cette cavalière, je l’ai croisée à de nombreuses reprises en concours et justement, elle fait partie des “coachs parfaits qui détiennent la vérité absolue”. Je connais la jument et j’ai même eu l’occasion d’échanger avec l’instagrameuse.
Ce n’est pas du headshaking, c’est une compensation posturale. La jument compense une faiblesse d’un postérieur avec l’autre.
Elle compense également le fait de devoir évoluer avec un matériel “inadapté”. Je tiens à souligner que oui, c’était l’une de mes remarques lorsque j’ai pu admirer un empilement d’amortisseurs (gel, feutre…) pour que la selle ait un semblant d’appui cohérent, mais tu comprends, “j’ai un partenariat avec tel sellier”.
Cette remarque te fera sûrement tiquer, et pourtant elle est une composante importante des retours que j’ai sur le terrain. Mais pas seulement. J’ai la chance, moi aussi, d’être coach et d’avoir souvent une grande compétence technique et d’enseignement. Et sans dire que j’ai systématiquement raison, je constate que souvent, les inconforts chez le cheval sont d’origine purement humaine, et c’est l’une des grosses problématiques actuelles.
Tant qu’on ne travaillera pas sur le postural, tant qu’on ne remettra pas en place des phases d’étirement, tant qu’on ne réhabilitera pas le schéma corporel, tant qu’on pensera que l’effet d’un massage s’estompe au bout de quelques jours, et surtout tant qu’on ne remettra pas en cause notre pratique, notre matériel utilisé, l’action de nos mains… rien ne changera.
La cavalière/influenceuse a partagé ce qu’elle voulait montrer, interprété les résultats à sa sauce, et au final, elle a lésé sa propre communauté. Mais qu’importe.
Je précise également que je n’ai rien contre la consœur, je le souligne.
Mais voilà : elle a été formée dans un centre de remise en forme, qui a lancé sa propre “formation” de masseur équin, parce que ce centre a surfé sur sa notoriété grandissante sur les réseaux et a donc décidé de lancer sa propre formation de massage équin. À la base, ce centre s’est fait connaître pour sa balnéothérapie, et même si on touche le milieu du bien-être, il faut des compétences bien différentes pour enseigner le massage équin.
Pour avoir discuté avec plusieurs personnes sorties de cette structure, je peux vous le dire : ce n’est pas une formation sérieuse.
Beaucoup de ces “diplômés” n’ont que très peu de connaissances solides sur le cheval, et bien souvent, ont une mauvaise lecture du cheval et des gestes… Cet exemple résume, à lui seul, ce qu’est devenu le monde du bien-être équin ces dernières années.
Et je tiens à le préciser, je n’ai aucune problématique avec l’émergence de certaines pratiques, mais malheureusement, comme bien souvent, quand il n’y a pas de réglementation, il y a des abus et surtout aucun recours légal.
Je reçois souvent des messages à propos de mon parcours, de mes formations en biomécanique ou en massage, et la réponse est simple :
Aujourd’hui, le métier de masseur équin n’existe pas, il n’est pas reconnu par un quelconque diplôme d’État.
Et tant que cela restera ainsi, n’importe quel centre pourra créer sa formation, avec toutes les lacunes que cela implique : manque de rigueur, de contenu, de réelle compréhension du cheval. C’est la conclusion que j’ai tirée ces dernières semaines : une croissance exponentielle sur le marché, mais avec de plus en plus d’ignorance sur le cheval et l’effet du massage…

Vous voulez savoir si un professionnel est compétent ? Plutôt que de lui demander où il a été formé, son cursus… posez-lui cette simple question :
“Est-ce que tu vis de ton activité ?”
Je parle ici de savoir si le massage représente plus de 70% de son chiffre d’affaires.
Aujourd’hui, combien de « pros » revendent telle ou telle marque d’argile ou de complément alimentaire, en mettant toujours en avant les mêmes arguments : matières premières de haute qualité, fabrication française, effets bénéfiques sur le corps de votre cheval… sans pour autant être capables d’expliquer concrètement les mécanismes d’action ou de justifier la pertinence du produit dans un protocole individualisé.
Comme le dit un vieil adage : “On ne peut être juge et partie.”
Et là aussi, malheureusement, si les « pros » étaient sensibilisés à la lecture correcte d’une fiche analytique, beaucoup de marques de produits à base d’argile et de cosmétiques, qui ont aujourd’hui pignon sur rue et se sont développées via le même schéma de communication évoqué précédemment, seraient rapidement remises en question quant à la qualité réelle de leurs formulations.
Comme l’a souligné Herbert Marcuse en 1964, la société industrielle avancée intègre les individus dans un système de production et de consommation qui supprime la pensée critique.
Et ce sera ici ma conclusion : “Gardez votre œil critique et arrêtez de vous laisser séduire par de belles images. Le seul à détenir les réponses reste, et restera, votre cheval.”
Et n'oubliez jamais, un bon professionnel vous remettra en question. Un mauvais vous confortera dans vos illusions. Le premier écoute ce que dit le cheval, même lorsque cela contredit le discours du propriétaire. Le second vous dira ce que vous avez envie d’entendre, même si cela nuit à l’animal. Le premier travaille pour le vivant. Le second, pour son image. Et dans ce monde saturé de contenus, il devient urgent de se souvenir que l’image n’est pas le soin.

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